Bien qu’il y ait une très forte présence de patrimoine médiéval dans la Vallée du San Lorenzo, il n’y a pas d’édifice religieux qui n’ait été intéressé par quelque intervention architecturale, picturale ou sculpturale de type baroque, entre les dix-septième et dix-huitième siècles. Exception faite pour les églises des Saints Matthieu et Gregoire le Grand à Pietrabruna, de style néoclassique (1844 environ), et de la Nativité de la Vierge Marie à Lingueglietta, fruit d’une succession de travaux commencés déjà à la fin du XIIe siècle, la majorité des édifices paroissiaux présente un style monumental pensé et réalisé entre le XVIIe et le XVIIIe siècle. Cette donnée, qui nous dit beaucoup sur la capacité d’attraction exercée dans cette zone par ce style vivace et dynamique, a un relief encore majeur si l’on pense aux architectures religieuses «mineures» qui représentent un complément des églises paroissiales. C’est le cas des nombreux oratoires des confréries, dédiés généralement au culte de l’Annonciation de la Vierge Mairie et de saint Jean Baptiste, ou encore, des nombreux oratoires suburbains et champêtres, qui, malgré les modifications subies, ont conservé leur caractère baroque ou « baroque tardif ». Cela ne concerne pas seulement le secteur des constructions religieuses
En effet, s’il est vrai qu’au-dessous des crépis érodés des édifices historiques des plus anciens villages de la vallée se cachent souvent les formes du Moyen Âge, avec ses arcs aigus, ses voûtes rabaissées et ses pierres bien carrées, il est tout aussi vrai que le visage urbain prédominant, à exclusion de certains cas, a été remodelé au cours de deux siècles seulement. Ainsi, en se promenant le long des ruelles étroites et escarpées des centres historiques de certains villages où l’on peut encore respirer l’air du XIVe, XVe et XVIe siècle, il arrive souvent que l’on tombe sur des monogrammes, dédiés au culte de la Vierge Marie ou au nom de Jésus Christ, situés au-dessus des portes. On peut observer aussi des petits oculus circulaires et des fenêtres polylobes qui percent les murs compacts de certains logements ou édifices privés, ou encore des fonds ocre et vermillon et des corniches en stuc qui ornent la façade d’élégants palais nobiliaires (comme celui situé rue Dante 49 à Civezza), de fermes (comme la maison « des Littardi » à Lingueglietta), de loges communales (Cipressa) et enfin, de presbytères (Boscomare).
Ainsi, le «grand temps» du Baroque a été un mouvement de rénovation générale du goût artistique et esthétique d’une société qui, au seuil du XVIIe siècle, était encore insérée dans une atmosphère décadente et rêveuse « d’automne du Moyen Age ». Une période où les timides ouvertures aux courants de la Renaissance se mélangeaient dans la forte racine expressive (et expressionniste) d’une culture périphérique et tardive, qui préférait les formes archaïques et primitives exprimées par les ateliers itinérants de peintres de fresques et de graveurs sur pierre d’origine locale et non. Dans ce contexte s’inséra l’esprit d’un art nouveau, fruit d’une foi contre-réformatrice et encline à la spectacularisation et à la théâtralisation du sacré et des pratiques liturgiques associées.
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Il n’est pas facile d’assigner une date précise au début de la période baroque. Toutefois, deux événements politiques de la Vallée du San Lorenzo décrètent la fin de la longue période Médiévale et, en même temps, la naissance d’une nouvelle aube sous l’enseigne de l’étendard croisé de la République de Gênes: la fin de la seigneurie féodale des Lengueglia (1609), auxquels étaient liés les destins de Lingueglietta, Boscomare, Torre Paponi, bonne partie de Costarainera et du bourg occidental de San Lorenzo al Mare; et l’émancipation communale de Pietrabruna (1613) du Terziere de Dolcedo et de la Commune de Porto Maurizio, qui vaut aussi en partie comme terme de référence pour Civezza (liée au Terziere de Torrazza jusqu’en 1762), et toujours en partie, pour le bourg oriental de San Lorenzo al Mare. Il s’agit de deux événements très importants pour l’histoire locale, qui s’ajoutent aux derniers décrets d’affranchissements paroissiaux des principaux édifices médiévaux tardifs, comme les églises des Saints Cosma et Damian à Torre Paponi (1611), de la Visitation de la Vierge Marie à Cipressa (1654), de Saint Bernard l’Abbé à Boscomare (1680) et, enfin, de Sainte Marie Madeleine à San Lorenzo al Mare (1749). Mais le dix-septième siècle ne surgit pas de nulle part et la rupture avec la tradition médiévale fut moins nette de ce que l’on pourrait penser. Ce n’est pas par hasard donc, que les seuls témoignages architecturaux du dix-septième siècle qui survivent encore dans la vallée, comme les églises paroissiales de San Lorenzo al Mare et de Cipressa, présentent un « caractère de transition » que l’on retrouve dans le prothyrum de la Nativité de la Vierge Marie à Lingueglietta, où un avant-corps du seizième siècle, à voûte en croix (1585) protège un portail conçu comme l’ouverture d’un arc triomphal roman (1621).
Il s’agit d’une suite de développements qui oscille entre les solutions de disposition des basiliques médiévales (trois nefs délimitées par des colonnes en pierre ou des pilastres muraux) et les nouveaux schémas unifiés, de plan centré, où tout l’apparat liturgique est pensé pour souligner la fonction de la prédication, le rôle de la Parole. Ainsi, l’on trouve encore des édifices au plan rectangulaire, formés par trois nefs, la centrale avec une voûte en berceau et les latérales des voûtes en croix, sur de solides pilastres en maçonnerie et couronnés par un presbytère surélevé et surmonté d’une coupole, destinée à éclairer le choeur toujours plus profond. Le long des cotés s’ouvrent en séquence de nombreuses chapelles latérales, où les fresques en aquarelles de goût maniériste tardif, laissent place à de complexes « machines d’autel » dans lesquelles se concentrent les travaux de certaines écoles de peintres (les Casanova, les Massa, les Niggi, et les Carrega), de marbriers (les Torre, les Gaggini, les De Ferrari et les Ripa) et stucateurs ou « plasticiens » (les Adami, les Bollani, les Carli et les Maggiorini) informés sur les tendances en vogue à Gênes. Les façades aussi conservent, au moins dans un premier temps, l’aspect d’un écran plat, perforé par un portail majeur de style classique et un système de fenêtres maniéristes tardives (les serliennes par exemple), qui délèguent aux fresques la tâche de simuler une articulation dynamique des masses et un riche équipement plastique et décoratif.
C’est seulement au cours du dix-huitième siècle, dans une phase avancée, que la mode du gigantisme va exploser. À ce moment-là, on verra apparaître les volumes ellipsoïdaux, les choeurs profonds et polygonaux, les corniches marcapiano, les doubles colonnes adossées, les semi-chapiteaux composites avec des têtes d’angelots, les niches où poser les simulacres des saints titulaires, les volutes et les flèches, les fenêtres et les tympans mixtilignes et, en bref, cette vision claire-obscure des surfaces architecturales appartenant à une famille d’architectes et stucateurs de Candeasco, Giovanni Battista (1646-1706), Giacomo Filippo ((1673-1743) et Antonio Filippo Marvaldi (1730-1791). On doit à ces concepteurs, ou à leurs émules (Domenico Belmonte par exemple), les églises de Saint-Jean-le Baptiste à Costarainera (1709-1721), des Saints Cosma et Damian à Torre Paponi (1720-1752), de Sainte-Marie-Madeleine à San Lorenzo al Mare (1749-1766), de Saint-Bernard-l’Abbé à Boscomare (1770-1775) et de Saint-Marc à Civezza (1777-1793). À côté des monuments triomphants de la dernière phase baroque, les édifices religieux de référence des confréries laïques resurgirent aussi, comme les nombreux oratoires des Disciplinants, destinés à instaurer un dialogue architectonique intense avec les églises paroissiales voisines. Un échange qui, dans certains cas, comme à Costarainera, Cipressa et Lingueglietta, se résolut avec un conflit ouvert où les volumes et le faste des décorations à stuc ne cachaient pas l’intolérance des représentants de la communauté des fidèles envers le contrôle rigide de l’autorité ecclésiastique locale.
Le résultat principal de cette convivence problématique fut la définition des pôles religieux principaux de la vallée et, comme à Costarainera, Civezza et Torre Paponi, la création de places baroques parmi les plus scénographiques de l’Ouest de la Ligurie, où les façades des édifices religieux se disposent de façon à former un ensemble de décors théâtraux au remarquable impact urbain et paysager. L’époque des triomphes surnaturels et des contemplations extasiées n’a pas seulement influencé l’aspect des églises paroissiales, des oratoires des confréries et des oratoires ruraux, mais aussi les façades publiques de constructions privées. Elle survit encore dans les formes « pauvres » et souvent oubliées d’une grande série de piliers votifs et de kiosques, qui, de Costarainera à Cipressa, de Lingueglietta à Torre Paponi et Boscomare, de Pietrabruna à Civezza, se distribuent de façon capillaire sur tout le territoire de la Valle del San Lorenzo. Il s’agit d’un série de micro-architectures qui, successivement rénovées ou en état de ruine, signalaient les principales voies vers les campagnes ou les bourgs voisins et où, à certains moments de l’année, se déroulaient des prières spécifiques ou des processions propitiatoires.
L’acte conclusif du « grand temps » du Baroque se place bien au delà des limites conventionnelles qui le veut à la fin du dix-huitième siècle et de la vague révolutionnaire qui portera à la formation de la République Ligure (1797) et après l’expérience éphémère de l’Empire de Napoléon Bonaparte, à l’annexion au Royaume de Sardaigne (1815). En effet, ce sera l’église des Saints Matteo Evangelista et Gregorio Magno à Pietrabruna, la dernière église paroissiale médiévale tardive, épargnée par les importantes démolitions des dix-septième et dix-huitième siècle, qui signera en 1844 le déclin de ce style surchargé et clair-obscur, en ouvrant, bien que tardivement, les portes du goût à l’esprit puriste et rationnel de l’époque néoclassique
(Stefano G. Pirero)